Le FSSD, une approche systémique, stratégique et participative du dD   (Développement durable)

Caroline Gervais, docteur ès Sciences, experte, formatrice et facilitatrice en développement durable stratégique. Depuis 2002, elle accompagne les individus et organisations, qui s’engagent dans la transition vers des sociétés à prospérité renouvelée, à intégrer la perspective développement durable au cœur des activités. Pour cela elle s’appuie notamment sur le FSSD. Elle est actuellement directrice scientifique de My SenseiLab et également membre du Comité Scientifique de Time for the Planet.

Quel est ton approche pour accompagner les entreprises à mettre le développement durable dans leur stratégie ?

J’utilise une démarche qui a été développée en Suède, il y a presque 30 ans, très connue sous le nom de l’ONG « The Natural Step » et un peu moins connue sous son nom académique « FSSD » qui veut dire démarche de développement durable stratégique.

La singularité de cette démarche est de travailler par le futur souhaité dans lequel on a réussi et d’avoir défini un langage commun du développement durable en identifiant 8 conditions pour des sociétés durables.

Ces conditions de durabilité constituent une paire de lunettes qui permet en permanence de voir ce qui va ou pas dans le système. La manière de les définir a consisté à aller regarder en amont la manière dont on s’est organisé pour répondre à nos besoins humains et arrêter de regarder en aval, les symptômes.

Cette démarche a 3 caractéristiques :

  • systémique : elle regarde l’ensemble des interactions - ce que certains appellent nexus, les points où différents systèmes sont en interface - avec une clarté qui fait que les choses ne vont pas se recouper. 

  • stratégique : réfléchir par le futur souhaité permet d’avoir une vision du contexte dans lequel il faut opérer et de pouvoir anticiper comment il faut avancer par rapport à ses ressources, capacités, métiers. Cela ne veut pas dire que j’ai les réponses à tout mais cela signifie que je connais le contexte dans lequel je dois opérer, je sais clairement où sont les questions : Est-ce que je suis capable de les traiter maintenant ? est-ce que je peux les traiter en autonomie ? Vais-je devoir négocier avec une entreprise, un territoire, une filière ? Cela permet d’avoir une longueur d’avance. 

  • participative : l’intention, dès le départ, est de développer un langage commun du développement durable et il faut que chacun s’en empare comme on apprend à lire et à écrire. Le but est de transmettre ce langage dans l’organisation pour que tout le monde ait la même paire de lunettes. Le parti pris est de dire qu’il y a tellement de choses à changer dans nos sociétés qu’il faut que ce langage soit partagé afin que chacun agisse en connaissance de cause.








Comment situes-tu le FSSD par rapport aux autres approches du développement durable ?

Le FSSD est un élément clé de voute. Il sert d’architecture à la réflexion et ensuite on peut faire appel à d’autres approches comme l’économie de la fonctionnalité, l’économie circulaire, le biomimétisme, etc. qui deviennent des ingrédients pour activer, dans ce terrain de jeu, des possibles différents.

L’essence de cela c’est que le FSSD ne travaille pas par les impacts qui est la manière générique de travailler la RSE et le développement durable. Habituellement, on regarde ce qui ne va pas et on implémente des stratégies, des actions, des outils pour le résoudre. Or, on génère de nouveaux problèmes parce qu’on n’a pas compris les règles du jeu des systèmes socio-écologiques. Il y a donc de fortes chances pour que les solutions aux problèmes d’aujourd’hui deviennent les problèmes de demain.

Avec le FSSD, qui réinterroge en permanence nos transformations par les conditions de durabilité, on va savoir que la solution qu’on est en train de développer n’est qu’une partie de la réponse. Cela implique qu’on ne va pas mettre tous ses œufs dans le même panier en se disant c’est LA solution parfaite et investir des millions pour constater quelques années plus tard qu’on s’est mis dans une ornière.

Il est plus pertinent de savoir que le problème n’est réglé que partiellement en connaissant les questions qu’il faudra traiter.

Prenons le climat, c’est le sujet du moment. A-t-on vraiment sécurisé que ce qu’on est en train de mettre en place en appréhendant les choses par ce prisme ne nous emmène pas dans des choix structurels de société qui, finalement, ne nous permettront pas d’atteindre la pleine durabilité ?

En quoi les conditions de durabilité peuvent être considérées exhaustives et permettant de tout balayer ?

Par le travail initial. La stratégie pour élaborer ce langage a été d’identifier qu’en travaillant par l’aval, on aurait toujours un temps de retard.

Le professeur Karl-Henrik Robert qui est à l’initiative du développement du FSSD travaillait dans la recherche contre le cancer. Il a constaté que la recherche n’avait pas avancé tant qu’on ne connaissait pas la source des cancers mais que le jour où on l’avait identifiée, la recherche avait été beaucoup plus efficace. Il a transféré cette manière de voir les choses au développement durable.

Il a posé dans un écrit scientifique ce sur quoi on peut se mettre d’accord concernant les mécanismes-sources de la non-durabilité de nos sociétés. Cela a fait l’objet de 21 itérations par divers scientifiques.
Par ailleurs, des organisations déploient cette approche partout dans le monde, ce qui permet de valider qu’il n’y a pas de trous dans la raquette.

Est-ce qu’il est possible de prendre le temps alors qu’il y a urgence ?

Il y a une urgence climatique et donc il est urgent d’être hyper stratégique pour ne pas se coltiner des urgences qu’on ne considère pas encore comme des urgences.

Le groupe Millet est un exemple type.

Ils avaient identifié il y a 15 ans le fait que le remplacement des portes et fenêtres était un enjeu car tout partait à la poubelle. Ils ont mis en place une logistique inversée pour récupérer les anciennes portes et fenêtres quand ils les remplacent.

A partir de 2022-23, l’ensemble de la profession va être soumise à la responsabilité des producteurs sur les menuiseries, votée dans le cadre de la loi sur l’économie circulaire.

Pour le groupe Millet, cela ne posera pas de difficultés car ils ont anticipé. De plus, ils ont encore un temps d’avance car ils se sont déjà confrontés à ce qui se passe quand on récupère des veilles portes et fenêtres ; une des grosses problématiques est de séparer les différents matériaux.

Cela les a conduits à développer des techniques qui assurent à la fois une bonne agglomération des matériaux et leur étanchéité et, en même temps, rendent leur séparation beaucoup plus simple en fin de vie. Cela les a amenés à faire des montants très fins et à être compétitifs sur leur marché.

Le FSSD offre une grille de lecture qui permet de lire le système, d’anticiper et ne pas vivre ce qui arrive comme une contrainte. C’est ce qui me motive dans mon métier, que les gens ne voient pas ces sujets de développement durable comme une contrainte mais comme un élément de contexte connu.

Quand on s’ouvre à lire le contexte, on peut manœuvrer plus tranquillement que quand on ne le fait pas et que le contexte nous tombe dessus.

Le FSSD ne dit pas ce que sont des sociétés durables. On ne le sait pas. On peut juste définir le terrain au-delà duquel on n’est plus dans le durable. On n’est pas prescriptif des possibles

Cela n’indique pas la solution mais les questions à se poser. C’est une manière de penser, un changement de paradigme, une architecture pour faciliter les coopérations dans la complexité des multiples transitions à mener de manière coordonnée.