Le co-design, c'est simplement "concevoir ensemble"


Qu'est-ce que le co-design? A quoi sert-il? En quoi est-ce puissant pour aider les organisations à faire leur transition environnementale et sociale?
Voici une partie des questions auxquelles a répondu pour nous Marie-Noéline Viguié, co-designeuse et fondatrice d'Ici Demain.

Comment définis-tu le co-design et en quoi est-ce utile?

Sans rentrer dans des débats d’experts, je dirai simplement que c’est concevoir ensemble et que c’est probablement un des meilleurs modes de conception possible puisqu’il permet d'intégrer l’ensemble des parties prenantes.

Le co-design sert principalement à 2 choses :

  • comprendre où est le problème et où est la nécessité de faire ensemble

Si je pars du postulat que collaborer c’est créer un objet commun - et pas uniquement discuter - co-designer revient à préparer ce temps de collaboration. Le co-design va permettre de trouver le « pourquoi » on est réunis, ce à quoi on veut collaborer et quel est le problème.
On a tous.tes dans nos têtes des biais, formations, expériences et compréhensions différentes. Dans une démarche de co-design on prend le temps de poser tout ça au milieu de la table et, petit à petit, de se relier les un.e.s avec les autres. Chacun.e va un peu plus dans la tête de l’autre et vice versa. Ceci permet d'arriver à quelque chose qui est commun pour tout le monde et qui devient le bon objet, le bon problème sur lequel travailler.

  • poser et mettre à plat les enjeux de pouvoirs et les enjeux de place

Ce sont les deux enjeux qui sont le moteur de toute individualité et que l’entreprise vient renforcer. Au début d’un co-design, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il y a un enjeu fondamental de pouvoir et de place dans le groupe. A partir du moment où on arrive à les comprendre, on passe un stade dans la co-conception qui permet d’avancer complètement différemment et de trouver une dynamique de collaboration plus sereine.

C’est sur ces aspects que le co-design est très puissant et que le facilitateur doit être bon. L’entreprise tue les gens en les mettant dans un espace où on ne s’exprime pas sur ces enjeux. Faire entrer le co-design dans les pratiques de l’entreprise participe à une vraie transformation culturelle.

A quoi ça sert le co-design, qu’est-ce que cela crée ?

Dès lors que tout le monde est mis dans une même salle et a accès à l’information, on passe un stade. Cela donne ensuite la possibilité de valoriser l’autre là où on ne l’avait pas forcément vu et de créer de l’attachement à un objet commun. Cela recrée de l’engagement, du sens, on comprend ce qu’on est en train de faire.

Grâce au facilitateur qui permet de mettre les choses sur la table, en les formulant simplement et en étant détaché des enjeux de pouvoirs, cela permet de quitter la zone du non-dit et de créer une nouvelle dynamique dans le groupe.

C'est la seule façon d'obtenir beaucoup plus d'intelligence, une fois que je connais le pourquoi, l'intention que je sers et que l'on a mis des mots sur les jeux de pouvoir, chacun.e peut mettre toute son intelligence pour générer cette intelligence collective. Dans un groupe, il y a chaque individualité, plus la personnalité du groupe.

Un co-design réussi c’est mettre à plat le « pourquoi», le « comment » et le « après ». Il y a une ligne claire qui est donnée, la parole a été libérée, il est possible d’itérer. Cela créée de l’entraide et de la solidarité, ce qui permet de traverser beaucoup plus de choses car le groupe est régulé en permanence.

Mais attention, co-designer, ce n’est pas tout faire ensemble, une fois les temps de régulation passés, les expertises peuvent s‘exprimer.

Que penses-tu de cet effet de mode de recours permanent au collectif? Quand faut-il ou ne faut-il pas y recourir ?

Il n'y a pas tant une mode du collaboratif, mais une mode à dire que l'on fait du collaboratif alors qu'il est souvent mal utilisé. On va se servir d’un temps collectif pour purger, donner l’impression à chacun.e qu’il/elle fait partie d’un groupe et que les choses sont faites de façon commune. Et finalement, il n’y a pas de co-construction par la suite. Chacun.e repart dans ses verticales et ses silos, et on n’a pas déjoué les enjeux. Souvent ce sont des évènements collaboratifs qui ne sont pas co-designés. Les choses n’ont pas été dites dans la préparation, il n’y avait pas les bonnes personnes, pas les bons niveaux d’engagement.
D'ailleurs, si une organisation passe en culture du co-design, ça se retrouve plutôt dans sa gouvernance que seulement dans ses modes de travail au quotidien.

Le collaboratif prend donc plus de temps ?

Évidemment ça prend un temps fou, surtout au démarrage. Il y a le temps de l’évènement, là où ça se joue. Et le temps de sa préparation qui représente 90% de sa réussite et du temps de travail de co-design. Il faut le soigner.

Cela implique en premier lieu de passer par un.e interlocuteur.trice privilégié.e, dans l’organisation, qui va aider à rassembler les personnes qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble ou celles que l’on n’a pas l’habitude d’inviter. C’est justement pour ça qu’il faut les faire venir.
En second lieu, il faut réunir les sponsors, les personnes qui décident, pour 3 ou 4 réunions.
Et puis il y a tout ce qui se passe entre temps avec ton allié ou tes partenaires de co-design, pour préparer ces réunions. Car il ne faut pas co-designer seul.e, sinon tu n’arrives pas au bon niveau de lecture.

Donc oui, ça prend du temps et ça implique de faire les choses sérieusement. Il faut prendre ce temps à gérer ce qui est important, c’est-à-dire traiter des enjeux systémiques. Il faut prendre le temps de poser ce système, faire accepter aux personnes dans l’entreprise, que « non, ça ne prendra pas 2 réunions d’une heure » comme d’habitude parce que là, le problème est complexe et très important. Il faut donc toujours commencer par des sujets à fort enjeux, ceux que l'on n’arrive pas à résoudre aujourd'hui et qui semblent nécessaires et vitaux.
On va prendre le temps de traiter ces enjeux, on va respirer et on va créer les bons espaces.

Co-designer.euse est un "vrai" métier ?

A partir du moment où le travail est malade, oui. C’est un métier du sanitaire du travail. Il faut prendre le temps de rééduquer, de proposer un nouveau contexte.
 
Le travail est très en souffrance aujourd’hui. Si on nous avait appris dès l’enfance, à être à l’aise avec nous-même, à nous exprimer, à poser les choses, à soigner notre rapport à l’autre et que l’entreprise n’était pas ce cadre coercitif, dans ces cas-là, ça n’aurait même pas existé. Sauf qu’on en est au néolithique de nos modes de collaboration.

En quoi le co-design peut permettre de créer la transition écologique et sociale des organisations?

Si on veut faire la transition dont on a besoin, il faut créer ces temps de collaboration.
Il faut créer des terrains d’expérimentation où tu abats les structures de gouvernance et les modalités de travail habituels pour les recomposer autrement. Sans construire ensemble, chacun.e est dans ses croyances et l’assurance que sa solution marche. Alors que nos enjeux sont interconnectés.

Dans l’entreprise, tu ne peux pas te dire que tu fais ta transition, juste en sortant un produit, en créant un département ou en changeant une ligne de production. Là on est dans du « green sympathique ». Il faut traiter le sujet de façon fondamentale,donc tu dois toucher à la fois aux RH, aux modes de travail, à l’engagement, à tes partenaires, à l’amont, à l’aval.... Pour cela, il faut l’ensemble des parties-prenantes.
La première chose à faire c’est aligner en profondeur l’ensemble des dirigeants, et si on veut même être plus complexe, en réalité, il faut aligner les propriétaires de l’entreprise. En ce moment, il y a une brèche intéressante, avec ce qui est en train de se passer. Il y a moyen d’aller chercher des acteurs qu’on n’aurait jamais atteint sur ces sujets de transition, notamment parmi les actionnaires. La vision de la rentabilité à court-terme commence à bouger.